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19 Février 1763


La fin de semaine s’achevait par une journée ensoleillée, idéale pour la petite célébration qui avait lieu dans le grand parc à l’arrière du Palais Impérial. Dans un recoin bordé d’une haute haie de lauriers elle-même parsemée par plusieurs bosquets d’azalées à la floraison précoce, l’on pouvait entendre des rires se ponctuer de cris et d’éclats enjoués. Un kiosque de bois blanc s’ouvrait en corolle de tables aux nappes immaculées où s’entreposaient plusieurs plateaux de biscuits, pâtisseries et rafraîchissements. Placé sous un grand chêne, il appelait à la détente et au confort avec ses nombreux coussins et banc. Au travers des ombres du centenaire, un soleil encore timide projetait à ses pieds un mouchetage d’or lorsqu’il ne jouait pas à cache-cache derrière quelques nuages moutonneux. Ici et là, des tas de neige s’obstinaient, percés d’une herbe folle que les jardinier du Palais laissaient encore en paix le temps que la terre sorte définitivement de son gel hivernal.

Une allée de pierres plates reliait les différentes partie du parc comme une veine sur le vélin émeraude de la pelouse. Le Comte Bastien De l’Aguessac guidait son nouveau protégé sur les chemins dégagés, se repérant aux sons des flûtes et tambours qui accompagnaient les rires et gloussements de notes enjouées, légères et pétillantes. Âgé dans la vingtaine, il était encore célibataire et avait reçu de fait une invitation pour venir se réjouir avec les autres convives en cet événement social. Pour raffermir ses liens récents avec celui qui l’accompagnait, il l’avait à son tour invité, certain que le présenter lui vaudrait bien des faveurs. Sous l’apparente simplicité de la réception ; une fête en comité réduit autour d’un thé, sucreries et jeux enfantins, se cachaient comme toute chose dans la noblesse des intentions et des plans bien moins innocents. Il y avait de nombreuses damoiselles qui venaient tout juste de faire leurs débuts et notamment une parmi toute…

« - Où êtes-vous !? Je vais finir par vous attraper... Vous ne m’échapperez pas ! »

Une voix familière et, au détour d’un bosquet aux petites fleurs blanches, les deux hommes débouchèrent en plein milieu d’un terrain de jeu improvisé. Des jeunes femmes et jouvenceaux sautaient et fuyaient avec nombre de rires et provocations légères, amusées, celle qui était l’attrapeuse. Au centre de cette agitation virevoltait une adolescente aux yeux bandés d’un foulard et vêtue d’une somptueuse robe des quatre saisons. La soie raffinée présentait une encolure à parementure rapportée d’or et de perles, révélant une gorge gracile à la peau pâle. Les manches à la coupe ange dénudaient ses épaules frêles et se piquaient de dentelles délicates tandis que la soie dorée en dessous épousait parfaitement la forme de ses bras délicats. Le corsage serrait une taille naturellement fine, lui donnant une silhouette plus svelte encore tandis que la robe s’évasait légèrement vers le bas pour former dans le dos une traîne discrète. Enfin, outre des bracelets qui tintaient comme le cristal, la jeune fille portait une ceinture dorée tel un fin bandeau qui descendait sous une boucle simple le long de ses jambes. La robe, cousue dans un glyphe élémentaire, changeait sa teinte selon l’éclairage ; faite d’un bleu glacier piqué d’argent, elle coulait ensuite d’un dégradé de vert d’eau discret parfois moucheté sur les manches ou la taille d’un vert forêt plus prononcé, lui-même poudré d’or et de jaune printanier. Ses cheveux tressés se piquaient d’une broche dont les grappes d’améthystes, taillées en fleurs de wisteria, devaient mettre en valeur des yeux qui étaient pour l’heure encore dissimulés.

Bastien s’arrêta et appela une première fois l’assemblée pour faire savoir leur arrivée. Toutefois, les nobles étaient bien trop pris dans leur jeu pour s’arrêter et tout particulièrement celle qui avait le rôle du loup. Intriguée par l’éclat de voix qu’elle ne reconnaissait pas et certaine d’obtenir une proie facile qu’elle n’aurait alors aucun mal à saisir et forcer au jeu, elle pivota sur ses talons et tendit les bras pour saisir l’inconnu, mais dans son empressement ? Elle trébucha. Un hoquet échappa à ses lèvres nacrées d’un baume discret tandis qu’elle finissait dans les bras d’un second inconnu. Le nez enfouit contre son torse, elle sentit ses joues chauffer d’embarras alors que résonnaient les rires taquins des autres convives. Ne voulant pas perdre la face, elle s’écria avec joie :

« - Je vous ai ! »

Autant continuer le jeu comme si tout cela était prémédité. De ses mains, elle agrippa les épaules musclées et s’écarta à bout de bras, un rire légèrement essoufflé lui venant avec naturel et candeur. Son sourire était éblouissant alors qu’elle glissait à présent les mains sur le cou, puis le visage de sa victime. Malgré un soleil bien présent, le mois de Février gardait une main mise sur les températures. L’adolescente avait le bout du nez rosi de froid, de même que ses doigts qui effleuraient timidement la mâchoire, puis les joues de l’homme pour essayer d’en reconnaître les traits. Au jeu du Colin-Maillard, il fallait annoncer l’identité de sa proie si l’on voulait se défaire du foulard de loup. Un nouveau rire lui échappa lorsque des commentaires taquins fusèrent pour l’enjoindre à aller plus vite et elle remonta davantage ses mains pour lui effleurer les tempes et les arcades sourcilières, mais à la place ? A la place, elle tomba sur un bandeau familier. Très, très familier.

Ses doigts tressaillirent et son souffle se bloqua quelques secondes dans sa gorge. Son visage se fit plus pâle alors que lentement son sourire se fanait et qu’une sincère surprise, voire incrédulité gagnait ses traits délicats. Ne voulant y croire, mais ne pouvant dénier ce qu’elle avait sentit, elle baissa ses mains pour venir d’elle-même retirer le foulard qui couvrait ses yeux. Avec précaution, elle coula un regard à l’homme contre lequel elle se tenait toujours si proche qu’elle sentait sa chaleur au travers de leurs vêtements. Elle vit la peau sombre, les mèches blanches et cette beauté… oui, cette beauté similaire à celle des elfes, la courbe sensuelle des lèvres, l’arrête droite du nez. Un visage qu’elle n’oublierait jamais, pour le meilleur comme pour le pire !  Et il était là, dans les atours d’un véritable noble voire d’un roi. Il était là, dans le parc du Palais Impérial, présent comme invité d’un de ses amis et visiblement prêt à participer aux festivités.

« - Princesse Victoria, laissez moi vous présenter le Comte Teotl Tearri du domaine de Courbelune et qui vient tout juste de nous retourner de sa récente exploration des eaux et rivages encore bien trop inconnus de l’Archipel. »

Bastien semblait très fier de lui, après tout ne venait-il pas d’apporter un véritable fantôme parmi la réception ? Sûrement cela allait-il l’avantage,r sans parler que la beauté et la prestance de ce Comte Tearri vaudrait à bien des jouvencelles de se pâmer et lui n’aurait qu’à ramasser tous ces cœurs briser pour se constituer un agenda de bal et de potentielles promises. Victoria pour sa part l’observait toujours, doigts enlacés au foulard et gorge palpitante. Ses grands yeux le fixaient à l’ombre de ses cils frémissants, mais aucun mot n’osait sortir d’une gorge nouée d’émois. Leurs corps se frôlaient à chacune de ses respirations et même si elle avait conscience que tous les observaient, ses genoux n’étaient pas encore prêt à la laisser reculer pour marquer une distance plus conventionnelle.

« - Princesse? Vous semblez pâle. Vous sentez-vous bien ? »

La remarque, et surtout ses implications, la fit légèrement sursauter et aussitôt vint-elle détourner le regard, puis la tête tandis que la pointe de ses oreilles s’échauffaient. Biche farouche, elle ouvrit la bouche pour s’excuser, mais aucun son ne sortit. Elle fit un pas en arrière, puis un autre avant qu’elle ne prenne une profonde inspiration et ne soulève légèrement le devant de sa robe pour engager une révérence gracieuse. Les mèches opulentes et vaporeuses cascadèrent aussitôt par dessus ses fines épaules en des nuages de miel blond et elle courba sa nuque tout en lui offrant l’un de ses plus beaux sourires. Son masque de bienséance lui était revenu, de même quelques les couleurs sur ses joues à la peau velouté.

« - Comte Tearri, c’est un véritable plaisir de faire votre connaissance. Me feriez-vous le plaisir de participer à cette humble réception ainsi qu’à ses nombreux jeux ? Comme vous pouvez le voir, nous étions en train de jouer à Colin-Maillard... »

Elle se redressa avec tout autant d’élégance et lui aurait volontiers tendu le foulard pour que ce soit à lui de jouer le loup, mais dans le cas de cet homme ? Il faudrait plutôt lui demander de l’ôter ! Observant ses autres convives, elle décida que l’attention s’était beaucoup trop accrochée à elle et décida de tourner les tables pour s’offrir un bref répit. Il ne manquerait plus que des commérages débutent si tôt après l’arrivée inopinée de ce « Comte ». Son cœur comme sont esprit étaient en ébullition, il lui fallait quelques minutes pour se ressaisir et elle n’y arriverait pas tant qu’il sera là… si proche. Elle vint donc simplement saisir le bras de l’assassin pour lui enrouler le foulard autour du poignet -à défaut d’ailleurs-, fit un joli nœud à la fin et tandis qu’elle s’écartait de nouveau, Victoria laissa ses doigts effleurer l’intérieur de son poignet,  ongles caressants et fugaces sur la peau fine.

« - Retirez donc votre bandeau et… Attrapez nous si vous le pouvez, Monsieur Loup. »

Et elle serait volontiers la brebis au chaperon rouge si elle écoutait simplement son cœur, mais elle n’était pas sotte au point d’oublier la raison. Après tout, la présence de cet homme n’était certainement pas innocente, car de toutes les journées qu’il aurait pu choisir pour visiter le palais et probablement l’Empereur, son frère, il avait fallu que cela soit précisément celle-ci ? Fadaise ! Tearu avait quelque chose derrière la tête et elle n’était pas pressée de le découvrir. Venait-il lui faire un chantage au rappel de leur petit secret quelques mois plus tôt ou bien désirait-il les faveurs d’un membre de la couronne impériale ? De l’argent peut-être ? Son influence à la Cour était quasi inexistante, peut-être que la gérance de son domaine était dans un état critique et que pour sauver sa réputation, il venait à elle en sachant qu’elle ne pourrait pas se refuser… l’angoisse lui attrapa le creux de l’estomac et elle sentit l’extrémité de ses doigts se glacer de peur.

Autour d’elle les convives s’égayaient, que le Loup soit le Comte ou quelqu’un d’autre, ils désiraient simplement poursuivre l’amusement. Pour sa part, la jeune princesse espérait gagner quelques précieuses minutes en occupant son nouvel invité, juste le temps de reprendre son souffle et ses esprits. Elle s’écarta de la zone de jeu afin de se glisser derrière le vieux chêne, à l’ombre de son dense feuillage, et elle s’adossa contre l’écorce. Une main posée sur son cœur pour en sentir ses battements affolés elle prit une profonde inspiration, mais n'y tenant plus elle se pencha pour regarder de l’autre côté afin de s’assurer de ne pas être suivie...

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Séjourner en Sélénia, voilà une activité à laquelle il ne s’était pas adonné depuis longtemps. Il était souvent de passage, pour affaire ou pour s’assurer que son domaine était encore debout. Il avait confié sa gestion à une série d’individus loyaux et capables, mais il préférait tout de même jouer de prudence. Le goût du lucre était une maladie qui pouvait frapper du jour au lendemain et ronger même le plus honnête des serviteurs. Cette fois, cependant, il avait décidé de s’attarder afin d’évaluer de façon approfondie les atouts du royaume lunaire et de lancer une campagne de développement et d’investissement majeure pour consolider ses acquis. Patient, il avait laissé les seigneurs les plus influents et même une partie des seigneurs de plus basse noblesse se battre pour les filons les plus juteux d’apparence, dédaignant la curée pour ne pas s’épuiser. Cela ne servait à rien et les richesses de l’Archipel étaient encore trop floues pour pêcher par impatience et avidité. Il préférait amplement attendre et observer en se créant une base solide même si classique. Une chose après l’autre et quand il aurait commencé à identifier ce qui pouvait réellement lui apporter, le démarquer, il irait de l’avant. La première phase se déroulait donc parfaitement jusque là. Il entamait avec prudence les premiers efforts vers la seconde avec ce retour social auprès de ses voisins immédiats. Quelle ne fut pas sa surprise en se voyant immédiatement invité à une fête privée au sein du palais royal.

Une surprise qui se mua rapidement en amusement, puis en plaisir. Voilà qui était parfait pour approcher de nouveau les hautes sphères. Il s’était empressé de se renseigner pour s’assurer que plus aucun des proches de Fabius ne persistaient qui puissent le reconnaître comme l’un des compagnons d’orgies du borgne et conforté par la réponse, accepta sans plus attendre. En raison de son retrait et de son absence, il ne possédait encore aucune entrée auprès de la cour impériale, cette fête serait l’occasion rêvée de changer la donne et de raccrocher les wagons afin de se faire une place. Il se savait charmant, de bonne compagnie, doué pour plaire et bien assez au fait des ambitions humaines pour réussir sans s’angoisser plus qu’il ne fallait. De fait, il avait également hâte de voir comment la jeune princesse allait réagir en le découvrant au nombre de ses invités de marques. Elle qui avait eut si peur à son égard, de le voir soupçonné et arrêté par sa garde, voire tué, comme un forban, chanterait-elle d’un autre air en prenant conscience de son plumage d’apparat ? Ne restait qu’à espérer qu’elle soit aussi maîtresse d’elle-même que lors de leur précédente rencontre ou cela n’irait pas du tout. Revêtu d’un costume élégant à la coupe rappelant celle de l’amirauté, dans des tons blancs et azures, sobre mais de très bonne facture, l’Immaculé paraissait auprès de son ‘ami’ sans sourciller devant l’étalage outrancier des courtisans.

Calquant sa démarche sur celle de l’Humain, Teotl gardait les bras dans le dos en une posture simple de repos militaire qui mettait insidieusement en valeur sa musculature bien proportionnée et sa haute taille. Ses cheveux argentés étaient soigneusement coiffés et ornés de deux tresses au niveau de chaque tempe. C’était toutefois sa seule coquetterie. Pour le reste, il restait d’un naturel et d’une humilité confondante même si, en vérité, il n’avait guère besoin de forcer, dans cette assemblée. S’arrêtant légèrement en retrait pour conforter le sentiment de son ‘tuteur de cour’ dans son rôle, il prit la liberté de son apparent aveuglement pour étudier les alentours et les présents sans même en avoir l’air. Et de fait, cela lui donna l’occasion de jouer les innocents et de laisser la princesse impérial trébucher près de lui et la rattraper au tout dernier moment. Les rires et taquineries alentours le firent intérieurement ricaner sans qu’il laisse rien paraître, s’enquérant à la place du bien-être de la jeune femme qui venait de lui tomber dans les bras de façon parfaitement littérale. Il pouvait même en profiter pour ne pas avoir l’air de la reconnaître. Il la sentait à présent frémir et tressaillir comme un prédateur ressent la peur de sa proie. Mais elle n’avait rien eut à craindre précédemment non ? Il ne comptait pas voir cela changer. Mais en attendant, chaque seconde où elle hésitait était une seconde où il en profitait pour la contempler à loisir.

Jouant toujours son jeu, il tourna légèrement la tête vers la voix de Bastien puis revint dans la direction de la princesse, posant un genoux au sol dans la révérence adéquate au rang de la jeune femme et ce avec un maintien exemplaire. La voir hésiter était réellement amusant. Il avait grande hâte de voir comment elle allait s’en sortir. Et s’il la mettait encore plus dans l’embarras en racontant la manière dont elle l’avait sauvé ? Non tout de même pas. Hm peut-être. Selon son humeur et l’opportunité qui se présenterait à lui. Si cela ne le servait pas, alors il se garderait bien d’agir de façon inutilement mesquine. A la place, il se fendit d’un sourire à la sincérité parfaite bien que factice, chaleureux dans son mélange de suavité et d’hésitation.

C’est un immense honneur pour moi, votre grâce impériale, et un plaisir des plus délicieux que d’être en ce jour en une compagnie aussi agréable” Son sourire prit un tour sensiblement joueur “Bien que voir soit assurément un grand mot pour un aveugle, j’entends à tout le moins la liesse alentours

Car les autres n’étaient pas au courant que son bandeau lui permettait de voir, si ce n’était Bastien qu’il avait bien fallu mettre dans la confidence pour qu’il ne se prenne pas à lui trouver un guide pour aveugle en cette journée. Il laissa la jeune femme prendre possession de son bras sans jamais perdre son sourire, qui s’élargit même en comprenant ce qu’elle essayait de faire. La délicate caresse qui vint titiller les nerfs de son poignet ne passa pas inaperçu mais il ne fit rien pour montrer qu’il l’avait saisi, au risque qu’on se pose des questions car les autres n’avaient certainement rien vu. Son rire chantant l’accompagna alors qu’elle s’esquivait mais dès sa disparition, il s’excusa en prétextant son infirmité.

Il fit mine de quelques pas dans le jardin, accosta un instant une demoiselle pour qu’elle ait la bonté de le conduire dans le parc sur quelques mètres en esquivant de traitresses racines avant de l’abandonner avec une parfaite galanterie à son ‘ami’, ayant choisi une jeune personne de belle apparence pour qu’il s’en satisfasse et ne lui pose pas de problèmes. Esquivant les regards, et se glissant dans les ombres, il trouva aisément le chemin menant à la princesse et lorsqu’elle jeta un coup d’oeil hors de son abris ? Il se glissa près d’elle, là où il n’était pas attendu, à l’opposé de son regard et il ne fit rien pour annoncer sa présence, la laissant sursauter et s’assurant simplement qu’elle ne hurle pas d’un seul coup. Là, dans l’ombre, il sourit de nouveau et lui fit une révérence accompagné d’un baise-main, laissant traîner ses lèvres un instant contre la dextre et remontant sur le poignet dans le mouvement qui le fit se relever. Avait-elle pensé pouvoir lui échapper si aisément ? C’était bien tenté mais pas encore assez bien joué. Il s’en amusait tout de même, de la voir faire ses armes et évoluer dans son milieu naturel. Elle y était terriblement plus assortie que sur une île déserte, et pourtant, cela avait également eut un charme indéniable, autant que cette magnifique parure.

Je crains qu’un infirme ne fasse un piètre compagnon de jeu pour les oisillons de la noblesse, votre grâce

Il y avait désormais une autre teneur à ce titre, moins de respect, plus de jeu, quelque chose d’insinué et qui ne s’identifiait pas clairement, volontairement. Sa voix bien modulée était d’une tonalité qui n’attirait pas l’attention et ne portait guère, de sorte que la conversation reste entre eux et le buisson témoin de leurs messe-basses. De nouveau, il cala les bras dans le dos, prit une posture souple et détendue tout en continuant de l’observer. Elle n’avait plus rien du petit moineau effrayé de leur île et de leur traversée. Plus loin, la clameur, les rires et les conversations se poursuivaient en étant parfaitement innocents de ce qui se tramait dans l’ombre du vieu chêne. Décidément, il avait bien fait d’accepter la proposition et de venir. Les damoiseaux n’étaient pas à son goût et mais elle ? Ah il se souvenait très bien de leur discussion sur la plage, devant l’étoile de mer. Qu’allait-il donc faire d’elle ? Certes rien de violent, pas dans l’enceinte du palais impérial évidemment mais il pouvait trouver. On donnait tant de nom à cette enfant. Joyau, Colombe, Grâce… mais c’était bien trop pompeux et trop veule, servile. Bien entendu que la populace et la noblesse voulaient la flatter, c’était dans leur intérêt puisqu’elle était la soeur de l’empereur.

Mes excuses si je semble scrutateur, en dépit de mon handicape. Vous me rappelez une jeune femme que j’ai vu au cours d’un récent voyage, au crépuscule de l’année passée. Je l’appelais Enoha, ne connaissant pas son véritable patronyme. Nous avions eut une conversation des plus intéressantes autours d’une étoile de mer et ses propriétés. Vous a-t-on jamais montré une étoile de mer votre grâce ? Des créatures fascinantes. J’expliquais alors à Enoha que ces délicates existences marines possédaient souvent des armes… invisibles à l’oeil nu et donc très efficaces. Ce que je ne lui avais pas expliqué en revanche, c’était leur capacité à muer, à se défaire d’une épaisseur morte pour se renouveler ou se dissimuler… et pourtant, je jurerais qu’elle l’a compris d’elle-même

Le ton était léger, plaisant et courtois quoi que l’on sentait aisément une taquinerie intrinsèque mais diluée.

Cette jeune personne avait un esprit plein de promesse et j’aurais juré à sa diction qu’elle fut de haute naissance. Pensez-vous qu’elle puisse être de vos compagnes ou dames de compagnies ? Peut-être une débutante présente en cette journée ?

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Elle ne le voyait pas depuis l’angle de sa cachette, mais elle se doutait qu’il était encore là-bas car les rires et les exclamations qui provenaient de l’autre coin du parc lui assuraient que la jeunesse grassement dotée de Sélénia s’amusait toujours. A l’ombre de sa cachette, elle regrettait presque de ne pas assister au spectacle de cet homme pris au jeu du Colin Maillard et poussa un léger soupir alors qu’elle se redressait et venait de nouveau s’appuyer à l’écorce du chêne. Tearu était bien trop dangereux pour qu’elle s’attarde à ses côtés… du moins, était-ce ses pensées. Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle vit la haute silhouette qui se tenait si proche. Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle comprit combien elle avait été naïve et imprudente. Un frisson d’effroi lui coula le long du dos et ses mains griffèrent les écorces calleuses du grand arbre. Heureusement pour tout deux, Victoria ne poussa nul cri et vint plutôt hoqueter sa stupeur en portant une main tremblante à ses lèvres. Avec de grands yeux arrondis elle essaya de reculer, mais son dos pressait déjà au tronc et aucune retraite ne lui fut permise.

Sa dextre, toujours crispée contre le bois, fut captive des mains fermes et chaudes de l’homme pour un délicat et audacieux baise-main. Les joues pâles de l’adolescente rosirent malgré la peur qui lui saisissait toujours le corps. Son cœur affolé s’emballa pour d’autres raisons alors qu’elle récupérait sa main et l’observait finir sa révérence sans jamais sentir une seule fois la moindre parcelle de sincérité dans ses gestes comme dans ses paroles. Si Victoria ne doutait pas que ses amies s’arracheraient ses faveurs et s’engageraient dans une bataille rangée afin d’ajouter son nom à leur carnet de bals, la Princesse ne comptait pas tomber si bas que de courir après ce gentilhomme. Certes sa beauté avait de quoi faire tourner les têtes, mais elle avait vu son véritable visage. Au mieux était-il un assassin sans collier, œuvrant à ses désirs et caprices. Au pire s’agissait-il d’un odieux pirate et, foi de Kohan, jamais elle ne s’abaisserait à fréquenter pareille engeance. Sans connaître l’ironie d’une telle pensée, elle prit une inspiration et recomposa le masque d’une courtoisie mesquine alors qu’elle répondait du tac au tac :

« - Oh ne soyez pas si dur envers vous-même. Nous savons tous les deux que cette infirmité n’est qu’illusion et que vous sauriez être la plus agréable des compagnies pour distraire mes amis de cette langueur et de cet ennui si promptes à saisir les gens de la noblesse. »

N’avait-il pas joué le jeu parfait de l’innocent et de la victime lors de leur voyage retour ? Il avait su conquérir l’équipage et, sur la dernière semaine il finissait par dîner en sa compagnie à la table du capitaine. Assurément il avait assez de tours dans sa manche pour leurrer des gens aussi naïfs et imbus que l’étaient ceux de la noblesse, surtout en une occasion aussi débridée qu’une festivité printanière dans le parc impérial. Un léger froncement de sourcil ombra le joli minois de la Princesse alors qu’elle faisait mine de lui faire les gros yeux, guère dupe de son petit jeu de charme. Elle était toutefois incapable de s’en prémunir totalement et ce fut pour cette raison qu’elle ne décida pas de partir sur l’instant. Elle aurait très bien pu l’abandonner là et retourner auprès des autres, mais il y avait dans cette rencontre secrète quelque chose d’excitant et de trépidant qu’elle ne parvenait pas à se refuser.

Assurée qu’elle ne craindrait rien de sa part, probablement trop naïve ou orgueilleuse pour le croire capable de lui faire quoi que ce soit en ce lieu et temps de la journée, elle resta immobile et silencieuse sous son attention scrutatrice. Ce bandeau ne cachait pas l’intensité de son regard et elle se sentit progressivement mal à l’aise, voire intimidée. Un frisson courra le long de ses bras et elle se mordilla fugacement la pulpe d’une lèvre avant de recomposer une expression ingénue qui allait de paire avec l’image qu’elle donnait entre ces murs. L’homme voulait jouer le jeu de l’inconnu, de celui qui ne se souvenait pas de leur première rencontre et elle, par impatience et fougue, avait jeté le voile du mensonge sur le sol pour l’en piétiner dès qu’elle en avait eut l’occasion. Elle regrettait quelque peu cette maladresse, mais n’avait pas l’humeur d’être la souris entre les griffes du chat. Et pourtant, alors qu’il reprenait la parole, elle sentit une petite pique de fierté l’étriller.

« - Comte Tearri, m’auriez-vous poursuivi jusqu’ici uniquement pour m’insulter ? Après tout, quelqu’un de votre rang devrait savoir combien il est déplaisant pour une jeune femme d’entendre parler d’une autre en des termes si élogieux… »

Sa voix se paraît de cette même légèreté, toutefois à l’instar de l’homme qui y laçait de la taquinerie, Victoria insuflait à sa voix mélodieuse et douce quelque chose de plus venimeux. Mains croisées sur son ventre, visage relevé vers l’immaculé pour plonger son regard azuré dans les siens malgré le bandeau qui les dissimulait, elle reprit avec l’ombre d’un sourire dangereux de douceur trompeuse :

« - Ne serais-je assurée de votre naissance et de l’éducation qui en découle que je pourrais me confondre en vous pensant volontaire à insinuer que la Princesse n’est pas suffisante pour égayer votre après-midi. Fusse-t-il de sa simple présence et plus encore lorsqu’elle vous gracie d’une conversation ! »

Ses yeux se plissèrent sensiblement. Voulait-il la tester via ce comportement frôlant l’insolence et l’irrespect à son rang ? Elle se souvenait de leur conversation avec l’étoile de mer et comptait bien lui prouver qu’elle savait s’adapter, évoluer et surtout ; survivre. La côte de son frère tombait en chute libre et la Cour était de plus en plus mécontente, sans même parler du peuple. L’approche des Chimères était une menace qui sourdait au large des océans et les rumeurs allaient bon train pour saper l’autorité du jeune Empereur. Il serait mentir que de dire qu’elle n’y avait pas sa part de responsabilité, mais ses intentions étaient pures en son cas ! Elle voulait sauver Nolan du poids écrasant de la couronne et d’un poste qui ne convenait pas à l’esprit libre et aventureux de son frère adoré. Depuis son retour de l’île, Victoria s’était chaque jour davantage engagée sur le terrain politique, oeuvrant dans l’ombre et avec autant de prudence qu’il lui en était donnée. Cessant d’observer l’homme qui lui faisait face, elle détourna légèrement la tête avec une petite moue contrariée et leva une main pour chasser une mèche qui barrait sa joue veloutée pour s’accrocher à ses lèvres.

« - Je vais toutefois répondre à vos questions, car je me sens d’humeur légère et généreuse. Le vin était exquis et ce temps promet une saison radieuse malgré les événements qui s’annoncent. »

Au couvert de ses longs cils, elle l’observa le temps d’un frémissement, puis fit mine de s’intéresser à une fleurs précoce dont les pétales encore froissées de sa récente éclosion dodelinaient sous la brise fraîche.

« - Votre amie m’est bien connue. Elle me parla elle aussi d’un homme rencontré au cours d’un récent voyage. Elle fut d’abord conquise par ses manières, puis terrifiée par les ombres hideuses qui le suivaient… avant de saisir la subtilité de ses manières et l’approche singulière qu’il avait du monde l’entourant. Malgré sa peur, elle accepta ses conseils et les fit mûrir tout au long de son voyage de retour. Elle m’expliqua la valeur des paroles qu’il lui prodigua et dès qu’elle rentra au Palais ? Je peux vous assurer qu’elle dévora chaque parcelle d’études concernant les étoiles de mer. Des écrits scientifiques jusqu’aux farfelues théories astrologiques de grand-mère sur leur symbolisme en passant par la valeur de l’Esprit-Lié associé à l’animal ; rien n’échappa à la curiosité d’Ehona. Forte de sa découverte, elle jura de l’appliquer et de se parer d’armes invisibles, mais mortelles. De se les approprier même si pour cela elle devait muer et rejeter plusieurs de ces épaisseurs mortes qu’étaient son enfance ou encore l’illusion d’un confort qu’elle pensait inaliénable. Confrontée une fois de plus à la mort, réalisant combien elle était vulnérable lorsque défaite de sa carapace d’or et d’autorité ; Ehona décida de changer. Elle devait s’adapter à son environnement, devenir sa propre force et s’attacher le bon entourage pour palier à ses faiblesses, comme une étoile de mer habilement camouflée dans son récif de corail et laissant murènes et pieuvres distraire les plus gros prédateurs à sa place. »

Victoria attrapa une mèche de cheveux et commença distraitement à l’enrouler autour de son index.

« - Toutefois, je suis au regret de vous annoncer qu’elle n’est pas ici. Ehona est un esprit libre, curieux et insatiable. Elle est sûrement repartie sur les îles sauvages de l’Archipel ou encore parcoure-t-elle les flots capricieux de quelques océans, loin des côtes où les villes et carcan social l’oppressent de trop. »

Cette liberté, elle se l’offrait en continuant à lire des récits d’aventures et de découvertes qui les explorateurs de l’Archipel compulsaient dans les ouvrages qui remplissaient petit à petit les étagères de la bibliothèque Impériale. Elle lisait aussi d’autres œuvres datant de l’ancien Continent, attendant toujours avec impatience quelques nouveautés. Elle soupira et leva les yeux sur Tearru, affichant un sourire complice alors qu’elle soufflait :

« - Êtes-vous déçu qu’elle ne soit pas là pour vous accompagner ? Si vous avez un message pour elle, je pourrais le lui porter… elle qui a la chance de retenir si longtemps vos pensées. Combien de mes amies, là-bas, seraient jalouses si elles le savaient ! »

A présent incapable de décider si elle voulait le voir partir ou rester, elle lâcha sa boucle de cheveux pour appuyer l’arrière de sa tête au tronc noueux. L’un et l’autre n’avaient pas tant bougés et la proximité qui la gênait tantôt était presque rassurante à présent. Elle se doutait de sa maladresse, se frustrait même d’être encore novice à ce jeu de subtilité, mais elle profitait d’avoir une oreille docte et favorable pour fourbir ses armes. Du moins, l’espérait-elle.

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Un léger sourire vint orner son visage, à la fois courtois et attentif, mais non moins piquant d’un amusement vif et malicieux. D’une écoute parfaite, le pirate laissa à la jeune femme toute latitude de lui répondre, se sentant parfaitement à son aise en ce lieu malgré son statut de nouvel arrivé au sein de la cour. Il retrouvait-là ce qu’il avait préssentit d’elle la dernière fois et devait s’avouer très curieux de voir comment elle allait gérer sa présence. Au dernier souffle qui tombait, l’Immaculé se fendit d’une expression songeuse, matoise tandis qu’il laissait quelques instants échapper à leur emprise avant qu’il ne se décide à répondre enfin, d’une voix tranquille et assurée, défaite de toute insolence mais néanmoins percluse de bonne humeur.

J’ai toute confiance en la capacité du Comte d’Aguessac à occuper les pensées de ces nobles dames bien après mon départ. Un homme d’esprit, charmant et de très bonne compagnie

Et qui serait plus que volontaire pour effacer n’importe quelle peine de coeur que l’Immaculé pourrait causer. N’était-ce pas là leur entente intrinsèque ? Certes Bastien ne l’avait pas vocalisé mais la manoeuvre était évidente, et de bonne guerre. Cela lui convenait tout aussi bien car ce n’était certainement pas dans la tête de ces dames qu’il comptait entrer. Sauf peut-être s’il s’agissait de l’impériale petit péon qui se trouvait présentement coincé entre lui et l’arbre. C’était néanmoins très bien tenté et il avait envie de continuer sur cette lancée. Il avait même une petite idée en tête. Il avait suffisamment évolué dans ce milieu pour avoir une réponse de prête, dans les règles. Il ne fallait pas jouer de trop de hâte.

Quant à mon émoi, il est bien réel. Comme je regrette l’absence de cette douce jeune damoiselle. Pourtant je devrais me fustiger, avec un esprit comme le sien, une fête aussi d’un jardin ne saurait lui convenir, effectivement. J’aurais du me le figurer dès le départ

Et il osait, oui, bravant le danger, assuré de sa répartie à venir. L’estoc était piquante mais trop évidente pour qu’il ne veuille pas jouer dessus. Elle lui rappelait Fabius Kohan par certains aspects, et il mentirait en affirmant n’avoir pas apprécié la compagnie du Borgne à l’époque. Bien davantage que d’autres de ses charmantes compagnies d’ailleurs. Un moment de silence s’installa, durant à peine quelques battements de coeur avant qu’il ne reprenne la parole, avant qu’elle ne puisse faire voix de ses protestations. Il s’agissait de donner le temps à la vexation de mûrir avant d’être coupée, mais pas de la laisser fleurir non plus. Un juste milieu entre les deux, toujours si dur à trouver, lorsqu’on jouait au sein de la cour.

Cependant, tout comme je ne doute pas de la capacité de mon bon ami à ravir les damoiselles et compagnes de jeu, je ne doute certainement pas que la brillance du Joyau de sélénia puisse me faire oublier Enoha. Ne choisit-on pas les dames de compagnie pour complimenter la princesse ? Avec une âme d’une telle qualité auprès de vous, votre grâce, je ne doute pas un instant de la vivacité de votre esprit… aussi n’est-ce pas le moins du monde une insulte que de noter le terreau fertile dans lequel vous évoluez

Son regard la quitta pourtant. Il n’affirmait pas qu’il oublierait à tout jamais, juste qu’elle en avait les moyens si elle le désirait. Mais elle ne le désirait sans doute pas, pas tout à fait. Au fond, elle avait aimé être Enoha. Cela resterait qu’elle le veuille ou non. Mais il n’avait pas lui-même choisit de jouer les inconnus. Il ne jouait que son jeu, celui qu’elle avait décidée. Un nouveau sourire, tandis qu’il jaugeait la chair fraîche. Que de beaux atours, de belles chevelures… très convenu. Revenant à la princesse son sourire se fit acéré et il décida de la piquer de nouveau. Pourquoi ? Pour voir comment elle allait réagir évidemment, comment elle allait lui répondre. Il n’aimait pas réellement jouer les galants insipides après tout.

Sauf, bien entendu, si je vous fait douter de vous ? Mais je ne suis qu’un humble seigneur de campagne, pas même un favori de votre frère l’empereur. Je ne devrais en rien avoir l’envergure pour cela, n’est-ce pas ?

N’est-ce pas ? Pourtant elle avait fuit à son arrivée. Et s’il faisait en sorte qu’on le voit quitter son flanc, croirait-on alors qu’elle avait un faiblesse pour lui ? Qu’elle se laissait distraire par son apparence peut-être ? Se faisant chagrin, il esquissa un geste pour s’éloigner, lui donnant de l’air, dans un mouvement plein d’une grâce féline et justement dosée comme une révérence sans même s’en fendre, un fantôme de gest attendu, imaginé, suggéré. Il pouvait l’utiliser pour asseoir sa présence à la cour impériale, bien entendu, mais qu’en penserait-on ? Qu’il usait d’une gamine ? Non, elle devait rester un plaisir mais pas servir ses buts, en fin de compte, ce serait beaucoup trop délicat à créer et gérer. Il en récolterai plus de reproches que de pouvoir.

Devrais-je donc vous laisser ? Il est vrai que je suis moins vin que verte essence…

Une hésitation, puis un ajout prudent, une invitation sous la cape du doute.

En avez-vous jamais goûter, votre grâce ?

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Le Comte d’Aguessac avait certes toutes ces qualités, mais de la part de certaines dames et des murmures de couloirs que la Princesse avait pu entendre : c’était bien là toutes ses qualités. Et si ce genre de traits se cumulaient à perfection pour se distraire et s’occuper lors de soirées, ce n’était certainement pas ce que l’on attendait d’un époux digne de ce nom et ce n’était pas avec de l’esprit et du charme que l’on gérait correctement un domaine. Du moins, cela ne faisait pas tout. Pour sa part, la Princesse était guère intéressée au batifolage et ne pensait pas encore à son mariage. Pour qu’elle accepte un prétendant, il devrait être de la plus haute naissance au sein de la noblesse et puisqu’il n’existait plus de royauté et d’équivalent dans les nouveaux territoires, cela réduisait drastiquement ses choix. Tant mieux, pensa-t-elle en venant distraitement jouer avec une boucle de ses cheveux. Elle cherchait un époux aux nerfs d’acier et qui partagerait sa vision sur la régence du peuple. Elle se fichait bien qu’il soit beau, même si cela serait un plus qu’elle ne rejetterait pas si on le lui proposait dans le lot… mais elle s’égarait et reporta une attention vive et méfiante, un brin courroucée même, sur le galant qui la bloquait toujours contre le tronc de l’arbre.

Enfin, bloquer était un peu exagéré. Nulle main ne se plaquait au tronc rugueux pour l’empêcher de s’esquiver, mais si elle désirait le faire elle devrait alors s'imposer une proximité fort déplaisante, mais surtout très déplacée… si l’autre, justement, refusait lui de se déplacer. Commençant à cerner l’esprit joueur et taquin de Tearru, l’adolescente était presque certaine qu’il jouerait les aveugles et prétendrait ne pas l’avoir entendue s’approcher, juste pour l’embêter ! Victoria ne voulait pas lui donner pareille occasion de se jouer d’elle aussi restait-elle sagement contre son arbre et poursuivait la conversation comme si tout s’accordait selon ses désirs à elle. Mais personne n’était dupe.

« - Oui, elle aurait préférée une chevauchée dans les forêts enneigées, avec son faucon et son chien de chasse. »

Lâcha-t-elle distraitement, les yeux rivés sur les parcelles fragmentées de ciel bleu qu’elle devinait entre les branches du grand chêne. Un soupir lui échappa et elle se fustigea intérieurement. Enoha n’était qu’un rêve et comme tout les rêves, il finissait par disparaître et s’oublier. Les compliments pleuvaient sur elle comme les billes de soleil qui cascadaient dans ses cheveux et ses épaules, mouchetant son visage qui s’éclairait à son tour d’un sourire d’appréciation. Son regard, toutefois, prouvait de ses éclats vifs que la jeune damoiselle n’était guère dupe de tout le sucre et le miel dont se versait l’homme pour rattraper son erreur. Un jeu de chat et de la souris dont elle était déjà bien plus familière même si, sans se l’expliquer, elle se sentait étrangement en danger cette fois-ci. Elle glissa un petit « malin » pour ce joli retournement de situation et regretta de ne pas avoir d’éventail pour cacher son sourire amusé. Mais il le méritait, n’est-ce pas ? Il s’était donné tellement de mal après tout ! Elle lui offrit donc l’éclat vibrant de sa jeunesse et laissa même filer un rire aussi doux qu’une caresse de plumes. Elle était choisie par le Paon après tout.

La suite la fit légèrement déchanter et elle l’observa avec bien plus de sévérité. Le voilà qui recommençait ! Elle allait perdre patience à force et ils n’aimeraient ni l’un, ni l’autre le spectacle qu’elle donnerait alors. Ses prunelles céruléennes lancèrent de petits éclairs tandis qu’elle mesurait ses paroles et répliqua finalement :

« - Vous l’avez, ne jouez donc pas les sots et les humbles avec moi. Vous ne l’étiez pas sur l’île… d’après les dires d’Ehona en tout cas. De plus, je ne gaspillerai pas mon souffle avec le commun de la noblesse, surtout en cette occasion où les places sont si convoitées. Enfin, pas que vous me fassiez douter, simplement je n’apprécie pas que l’on se joue de moi. »

Un peu de franchise pour définir les règles entre eux. Il pouvait la taquiner, la piquer dans son orgueil et elle ne pourrait pas s’empêcher de réagir sur le vif, car tel était son caractère. Mais par les Déesses qu’il ne joue pas les idiots où elle le renverrait dans sa campagne ‘manü militaeri’, comme disaient les elfes. A la demande, le courroux de la Princesse s’atténua et elle le contempla d’un air faussement songeur et fit semblant de pondérer sérieusement la possibilité de le congédier. Finalement, elle secoua négativement du chef dans une envolée de boucles légères. Elle ne voulait pas se retrouver seule, moins encore en compagnie des bécasses et des jeunes damoiseaux en mal de frissons, mais ça l’homme n’était pas censé le savoir. La suite la fit toutefois hésiter et elle croisa les mains dans son dos, offrant une jolie cambrure à son dos tandis que sa gorge se mettait plus en avant, sans vulgarité aucune, faisant simplement tendre la dentelle et la toile légère de sa robe tandis qu’elle réfléchissait à toute vitesse.

De l’essence verte… de l’essence verte ? Parlait-il de l’absinthe par tout hasard ? La jeune Princesse en avait seulement entendu parler, car jamais l’on aurait accepté qu’elle s’autorise la dégustation d’une boisson aussi controversée. La Fée verte, disait-on pouvait rendre aveugle les plus imprudents et assoiffées de son Don. On l’appelait aussi le monstre bleu dans sa forme distillée et bien d’autres termes peu élogieux. Une boisson qui circulait lors des fêtes d’adultes, dans les couloirs où les dépravés s’embrassaient sous des masques et où des encens et des musiques languides embrumaient l’esprit et désinhibaient la noblesse. Tout cela, Victoria n’en avait entendu parler qu’au travers de ses dames de compagnies, de sa coiffeuse et une fois, par mégarde, depuis la bouche de quelques soldats lors d’un changement de quart. Bien sûr, la jeune fille sentait le bandeau de Tearu son attente et redoutait de lire sur son visage un quelconque sourire narquois de celui qui savait très bien qu’elle était vierge de ce genre d’expérience. A nouveau piquée à vif, refusant de paraître ignare après ses paroles vertement lancées quelques minutes plus tôt à peine, Victoria répliqua avec un sourire confiant :

« - Bien sûr ! Et si vous en aviez, je pourrais vous le prouver... »

Heureusement pour elle, il n’y avait aucune raison pour que cet homme en ait la moindre goutte sur lui, car après tout il visitait le palais pour une petite fête dans les jardins, rien de plus et le temps qu’il aille en dégotter quelque part, les-dites festivités seraient terminées et elle n’aurait plus à le supporter. Fin sourire victorieux aux lèvres, la Princesse allait changer de sujet dans toute sa générosité lorsqu’elle capta un geste discret, mais révélateur, chez son vis à vis. Ce qu’il tira de l’intérieur de sa veste fit fondre le sourire de son joli minois et la laissa dans une situation bien délicate, car malheureusement pour elle, il semblait y avoir une très bonne raison pour que cet homme ait une flasque entière d’absinthe sur lui. Mise au pied du mur, Victoria n’était pas certaine de vouloir connaître le pourquoi de cette raison et, refusant davantage encore de perdre la face en présence de cet homme par dessus tout, elle lui prit sèchement la petite gourde de métal et la déboucha avec un air de défis régalien.

Ni une ni deux, persuadée que ce breuvage alcoolisé ne pourrait pas être pire que la boisson de prunes distillées que l’on versait sur certains desserts au plus froid de l’hiver, l’adolescente porta le goulot à ses lèvres rosées et avant que Tearri puisse émettre la moindre protestation, elle avala une bonne gorgée. Aussitôt l’absinthe brûla sa gorge, remonta ses effluves astringents dans le conduit de ses narines et lui fit voir flou de larmes. Ses joues chauffèrent, carnation délicate au demeurant, mais qui faisaient pâle figure au brasier qu’était son estomac. Elle en découvrit la superficie exact et posa une main tremblante sur ce dernier par dessus sa jolie robe printanière. Bouche close et langue pressée à son palais pour ne pas éternuer ou pire ; tousser. Farouche dans sa volonté à ne pas craquer et se rendre plus ridicule encore qu’elle ne devait l’être, elle tendit à l’homme sa flasque et renifla discrètement tout en relevant le menton avec dignité. Pas une larme de versée, même si plusieurs perles salaient ses longs cils. Pas une seule quinte de toux, mais c’était parce qu’elle n’avait pas encore engagé le pari de respirer… lorsqu’elle s’y essaya, contrainte par ses poumons qui réclamaient un brin d’air frais, Victoria manqua de tousser, mais elle cacha l'effort par un délicat raclement de gorge et avala prudemment sa salive.

« - Toujours le même goût. »

Sa voix décida à ce moment de jouer la valse dans les aigus et les graves, forçant la Princesse à refermer la bouche dans un petit claquement de dents embarrassé tandis que ses joues s’assombrissaient d’un cran de plus. Après un silence prudent, elle poursuivit sans se démonter malgré le léger tremblement qui subsistait :

« - Peut-être plus âpre que celle que j’avais jadis goûté. »

Pieux mensonge, mais elle ne voulait pas revenir sur ses mots. Autant poursuivre la bravade et signifier qu’elle avait eut de la bien meilleure qualité. Après tout, elle était de sang royal. Tout ce qu’elle mangeait, buvait et respirait serait forcément meilleur que le reste offert au commun. Toutefois, elle se serait bien passée de cette expérience, aussi fictive soit-elle, car elle était maintenant engagée dans une situation fort désagréable. La chaleur à ses joues lui engourdissait déjà l’arrière du crâne et faisait sûrement aussi chauffer la pointe de ses oreilles rondes. Le bout de ses doigts lui fourmillait et ses genoux lui semblaient un peu cotonneux. Cette fois, le fraîcheur du tronc d’arbre dans son dos lui était bienvenue et elle s’y adossa l’air de rien, accrochant dans les fissures de l’écorces quelques boucles insolentes. Prudente, elle jeta un regard vers l’homme en craignant ses moqueries. Décidément ! Elle ne savait jamais sur quel pied danser.

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Malin ? Non pas malin, juste habitué. Celui qui connaissait bien le fonctionnement de la cour ne devait guère le craindre et craindre davantage ses adversaire. Il n’en avait aucun en ce jour. Pour autant, il ne suivit nul chant de néréide ou illusion dorée et resta sagement, mentalement, là où il était. Il lui dédia un très léger sourire en la voyant lui expédier un regard noir. Elle n’avait aucune armure intérieure, aucune capacité à absorber et elle mordait facilement aux hameçons qu’il agitait. Pour lui, c’était excessivement drôle à contempler et à provoquer. Et s’il était un homme pragmatique, il lui arrivait parfois de vouloir jouer avec ses propres intérêts.

D’après les dires d’Enoha n’est-ce pas ? Que vous a-t-elle dit exactement ?

Il était bien curieux de la façon dont elle allait se tirer de cette affirmation-là et ne comptait pas beaucoup l’aider, la couvant d’un air à la fois expectatif, et courtois. Cela risquait d’être fort intéressant et de froncer encore ces adorables sourcils blonds. Elle n’aimait pas sa façon de jouer, parce qu’elle n’était pas celle des autres peut-être ? Il n’en savait rien, ne côtoyant pas encore cette nouvelle cour. Fut un temps où c’était Fabius Kohan dont il se jouait ainsi. Et pour autant, n’avait-il pas énoncé la vérité ? Il n’était bien qu’un noble de campagne à l’heure actuelle. Mais l’humilité n’était pas chose courante chez les Kohans.

Je crains cependant d’être effectivement le commun de la noblesse. Ma valeur est ailleurs. L’humilité objective renforce l’être, princesse.

C’était une armure contre la mesquinerie des autres, celle qui tendait à agacer, à étriller, à faire faire des erreures. La seule fois où il avait oublié son humilité, il avait manqué mourir. Il n’était donc pas prêt à recommencer de si tôt. Il avait appris la leçon, et voulait s’améliorer. Et il n’hésiterait pas à partager avec elle. Car après tout, cela l’amusait de la voir évoluer, essayer, grandir. Entre leur première rencontre et celle-ci, elle avait déjà changé. Mais puisque la discussion voguait vers un sujet houleux, il allait en profiter. La réponse lui tirant un sourire carnassier, il produisit sa flasque d’absinthe, une merveille en verre soufflé et métal gravé du sceau de sa maison, protégée par un cuir blanc.

Et bien justement....

Justement, il en avait, de cette essence si prisée et dangereuse. Ne faisant aucun commentaire face à la déconfiture de la princesse, il la laissa prendre possession de la flasque mais en la voyant esquisser le geste d’une lampée, il essaya de la retenir… trop tard cependant. A sa décharge, il ne s’était pas attendu à ce qu’elle tente de le boire aussi sec. Sans rien faire, l’immaculé observa les différentes nuances de couleurs adoptées par le teint délicat de la jeune femme, devant bien admettre qu’il n’avait pas vu cela venir. Il récupéra sa flasque, la reboucha avec méticulosité, et attendit qu’elle parvienne à s’accrocher à la vie.

Voilà une nouvelle façon d’apprécier cette essence, je ne l’ai jamais vu auparavant. Une spécificité Sélénienne sans doute

Son fin sourire fit son retour.

Laissez-moi donc vous montrer comment on savourait cela, auparavant

Il s’éloigna un moment, furtivement, afin de voler sur la table des festivités ce qu’il lui faudrait, puis revenir auprès de la jeune femme. Extrêmement amusé, il mit un genoux à terre devant elle, avec une souplesse féline, et posa le verre en équilibre sur sa cuisse sans le moindre mal, ne bougeant pas, ne frémissant pas. Par geste délicat, il posa un sucre sur la cuillère, puis versa le contenu de la flasque très lentement dessus, au-dessus du verre. Ce n’était pas une cuillère spécifiquement faite pour cela, mais elle ferait l’affaire. Il avait le poignet exercé pour ne rien gâcher.

En vérité… Elle peut être consommée de différentes façons. Le vin d’absinthe, par exemple, ou l’absinthe diluée… Néanmoins celle-ci est… pure et il n’existe qu’une façon de s’y prendre pour lui faire réellement honneur. Le sucre fond lentement pour se mélanger à l’essence. Se mêlant à lui, pour sublimer la force de son bouquet. Il se fait alors trompeur. Sa puissance n’est en rien diminuée, au contraire. L’absorption le renforce, le nuance juste ce qu’il faut pour séduire lorsque sa seule emprise ne suffit pas, en particulier pour séduire de nouveaux pratiquants

Il laissa l’essence imprégner le sucre, goutte à goutte, puis le diluer, tomber au fond du verre. Lorsqu’il fut rempli d’un doigt et demi, il releva la flasque et la referma. Puis tendit le verre à la jeune femme, gardant la cuillère pour lui. Il prit le sucre et le happa, laissant l’alcool envahir son organisme. Il émit un doux son d’appréciation, chaud et vibrant, puis indiqua de la main le verre de cristal à présent détenu par Victoria. L’essence s’était faite plus veloutée, à peine brillante du sucre contenu en elle.Il l’invita à en humer d’abord la senteur, puissante et riche, avant quoi que ce soit d’autre, puis reprit.

On conseille de ne pas le laisser reposer sur la langue. La saveur est si prégnante qu’elle emplit tout le palais sans cela, le contact serait de trop. En cela il est l’inverse du vin classique, qui doit tourner en bouche

Et comme il l’avait dit, il était plus essence verte que vin. Comme elle le savait déjà, un contact avec lui poivait être...mortel.

Chaque alcool est un voyage différent, un ton différent

Sa voix se fit douce, comme une confidence, une étude songeuse.

Peut-être l’essence verte n’est-elle pas le vôtre. Une liqueur vous siérait peut-être mieux…

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Elle manqua de lui répliquer un « gna gna gna » excessivement mâture, mais parvint à ravaler sa langue avant de s’humilier davantage. Elle avait envie de croiser les bras et de bouder, voire même taper du pied au sol en exigeant qu’il s’en aille et la laisse en paix. Autant de puérilité que l’alcool désinhibait pour son plus grand malheur et elle devait redoubler d’efforts pour ne pas céder aux tentations qui se profilaient les unes après les autres dans son esprit embrumé. Ses yeux légèrement voilés suivirent la silhouette de l’assassin alors qu’il s’éloignait et force fut d’admettre qu’il était fichtrement doué pour passer inaperçu. Une capacité surprenante lorsque l’on possédait une prestance et une beauté aussi grandes que les siennes. Elle avait envie de danser et de chanter. Victoria profita donc de son absence pour se tapoter les joues, puis secoua la tête de droite et de gauche avant de poser le dos d’une main sur le front pour essayer d’obtenir un peu de fraîcheur. Non mais vraiment ! Elle devait absolument se ressaisir. Il était hors de question de passer pour une pimprenelle après ce qu’ils avaient traversé sur l’île tropicale. Victoria voulait à tout prix s’en faire un allié et pour cela, elle devait garder son intérêt autant que son respect… hors si elle se comportait comme toutes les autres filles, elle perdrait l’un et l’autre. Pire ; elle deviendrait un outil entre ses mains.

Le voyant revenir, Victoria remit de l’ordre dans ses cheveux ainsi que dans sa tenue et alors qu’il s’installait un genoux au sol, elle s’empressa de s’accroupir face à lui en serrant ses propres genoux de ses bras. Comme si elle allait rester debout ! Si quelqu’un les surprenait, l’on pourrait croire que le Comte était en train de se proposer. Hors de question que ce genre de rumeurs ne commencent à circuler dans le Palais… Il ne manquerait plus que les patriarches de la haute noblesse la pensent en âge de se marier et elle n’en finirait plus de propositions. Blottie donc entre l’arbre et le scorpion, elle était à la bonne hauteur pour voir le sucre, puis la cuillère s’installer en équilibre sur les bords du verre. Vint la cascade d’absinthe, son parfum unique et l’adolescente se trouva fascinée par ce rituel. Jamais n’avait-elle vu quiconque prendre autant de soin à préparer sa boisson. Les explications vinrent, produites d’une voix calme, salée d’un brin d’amusement qui piqua au vif la princesse et elle leva le nez vers Tearu pour le rabrouer, mais elle finit par l’observer avec de grands yeux attentifs et curieux.

La dernière fois qu’elle l’avait vu d’aussi près, il dormait profondément après les soins reçu par le Maître Baptistrel. Elle avait oublié à quel point il était beau et regrettait presque qu’il soit encombré de son bandeau. Sa main droite frémit à l’envie soudaine de le lui ôter, mais elle crispa les doigts sur sa robe pour s’empêcher de commettre l’irréparable. Quelque chose lui disait que franchir une certaine limite serait beaucoup, beaucoup trop dangereux avec cet homme… peut-être pas pour sa santé physique, car Tearu était bien trop malin pour faire du mal à une princesse impériale, mais… mais quelque chose d’autre lui arriverait. Elle perdrait une part d’elle-même et sans parvenir à cerner exactement ce malaise, Victoria su qu’elle n’était pas encore prête à s’essayer au danger qu’elle goûtait tout juste. Il avait cette saveur intoxicante, ce doux venin tentateur. Comme l’absinthe qui dissolvait le sucre dans la cuillère… était-elle à l’image de ce sucre ? Tout au fond d’elle, une voix lui souffla qu’elle avait simplement peur d’aimer ce qu’elle découvrirait. Voire de finir comme son Père.

« - A vous entendre, l’absinthe serait une drogue. »

Malgré tout, elle prit le verre qu’on lui tendait et observa la couleur, à peine assombrie par le sucre, se faire plus riche comme de l’émeraude liquide. Elle trouva la teinte aussi exquise que son parfum et l’éleva au dessus de sa tête pour lui faire capter les quelques rayons du soleil qui passaient l’épaisse frondaison du chêne. Tearu à genoux, elle accroupie et perdue dans les nombreux replis de sa robe, cheveux coulant autour d’elle comme une corolle d’or et de miel, les immenses bosquets de fleurs le long du chemin les dissimulaient parfaitement à la vue du reste des jardins. Au delà des pétales colorés et des feuilles rondes, ils pouvaient entendre les rires des autres nobles, les cris d’excitation et les gloussements. Le verre fut baissé à hauteur de visage et l’adolescente ferma les yeux pour en humer les nouveaux parfums. Le sucre arrondissait l’astringent, relevait la promesse enivrante de ses douceurs trompeuses.

« - Ne pas le laisser reposer, ni devenir confortable… ne jamais réellement baisser sa garde. »

Murmura-t-elle en ouvrant les yeux pour le fixer d’un drôle d’air. Parlait-on encore de l’alcool ou de l’assassin caché sous ses beaux atours de noble ? Elle n’en dit cependant pas plus et porta le verre à ses lèvres, happa la gorgée et frissonna aussitôt à la brûlure qui gagna sa gorge et imprégna ses sens d’une chaleur renouvelée. Lentement, la princesse lécha les pulpes rosées pour récolter ce sirop étourdissant jusqu’à sa dernière goutte de saveur. Plongée dans la découverte des sensations, elle pencha la tête de côté et laissa ses cheveux couler en flot par dessus ses épaules légèrement frissonnantes. L’ombre du chêne lui semblait glaciale en comparaison du feu qui couvait à présent au creux de son estomac. La carnation sur ses joues couvrit jusqu’à la pointe de son nez, fit briller ses yeux comme deux saphirs quand elle les rouvrit pour contempler l’homme toujours si proche. N’avait-il pas avaler le sucre entier ? Pourrait-elle y goûter si elle l’embrassait ? L’idée ne lui semblait plus aussi outrageante et pourtant, elle s’empêcha d’y céder plus par humeur taquine que réelle prudence. A la place, elle prit délicatement la cuillère qu’il tenait en main et la glissa à ses lèvres pour l’embrasser elle plutôt que Tearu.

Elle ne le quittait d’ailleurs pas des yeux. La pseudo-intimité qu’offrait le dense feuillage de l’allée et de l’arbre lui donnant ce qu’il fallait de hardiesse pour de telles actions. Presque studieuse, inconsciente de la portée et du message de son geste, elle savoura donc avec ingénuité ce qu’il restait de sucre et d’alcool sur la cuillère. Elle la fit rouler contre son palais, la frotta sur l’intérieur d’une joue et la redessina inlassablement de sa langue, tout cela au couvert de sa bouche close mais dont les lèvres s’arrondissaient t les joues se creusaient toutefois dans l’exercice. Lorsque Victoria fit glisser le couvert hors de ses lippes souples et humides, elle le révéla aussi propre que brillant. Elle loucha d’ailleurs légèrement dessus, puis laissa filer un rire doux, caressant, et l’abandonna dans le verre qu’elle reposa avec insolence sur la cuisse de son vis à vis. Amusée, légèrement espiègle, la princesse se releva avec un sourire et s’essaya à s’esquiver vers le kiosque. Quelle erreur ! Le sol se mit à tanguer et sa vue se brouilla l’espace d’une seconde, d’un battement de cœur affolé, avant qu’elle ne sente des bras puissants l’empêcher de tomber. Le souffle coupé, le ventre tordu de la frayeur et de la nausée combinées, elle resta quelques secondes serrée contre son sauveur avant qu’il ne lui revienne à l’esprit les convenances.

« - … merci. »

Murmura-t-elle sans lever les yeux sur lui, visage cramoisi à hauteur de son torse. Elle pouvait sentir son parfum, capter la fermeté de son corps et la chaleur qui s’en dégageait. Un instant, elle cru suffoquer et posa une main gracile contre le poitrail de Tearu pour le pousser aussi fermement qu’il lui était possible. Le bout de ses doigts étaient aussi rouges que ses oreilles alors qu’elle s’obstinait à garder la tête détournée pour qu’il ne voit pas son embarras.

« - Vous aviez raison… je suis encore davantage liqueur qu’essence. »

Mais quelque chose lui soufflait que domestiquer le scorpion vert ne la dérangerait pas sur le long terme. Elle s’en ferait peut-être même un défi personnel. Une question d’orgueil. Un frisson lui vint et elle ajouta d’une voix toute aussi douce :

« - Je vais avoir besoin de m’asseoir… et vous m’obligeriez en m’apportant d’un verre d’eau cette fois. »

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Toute expérience peut devenir drogue

La voix était douce et caressante mais sans efforts, nuancées d’une attention focalisée, tournée vers son oeuvre. Pour autant, il n’était pas moins sincère. Tout acte pouvait être une drogue. L’accoutumance et le plaisir n’étaient pas réellement réservés aux écueils moraux si bien soulignés. C’était une terrible forme de naïveté que de le croire. Toute chose, en ce monde, pouvait vous enchaîner, pour peu que l’inclinaison se développa en vous, que vous soyez prince ou mendiant. Et lui-même ne pouvait que se le rappeler, en observant cette jeune fleur si fraîche qui ployait à ses côtés. Fort de l’obscure de son bandeau, l’insistance de sa mire ne se percevait pas autant mais elle existait belle et bien. Réfuter sa beauté était idiot, belle elle était, désirable. Et un fruit défendu derrière une corolle impériale. Il resta coi, à la détailler tandis qu’elle observait le breuvage, mais à son doux murmure, il eut un sourire caustique qui ne donnait aucune réponse, menace sans en être une.

Il la laissa boire et découvrir par elle-même. Il la laissa s’échauffer à l’étreinte de l’alcool puis se saisir de la cuillère. Se relevant après elle, il ne manqua pas de la rattraper alors qu’elle vacillait, s’étant attendu à ce résultat. Ravalant le fantasme de profiter de l’instant, le pirate se contenta de la tenir fermement mais sans violence et la laissa aller lorsqu’elle s’écarta, avec un signe de tête généreux aux remerciements, ne s’y arrêtant guère. En revanche, il ne s’attendait guère à la voir produire un contact physique volontaire et il recula sans discuter. Un fugace sourire carnassier ourla ses lèvres avant qu’il ne se fasse suave. Oui, elle était une liqueur. Fruitée et innocente d’apparence, mais montant rapidement à la tête de celui qui la boirait. Oui, cela lui allait parfaitement. Elle avait un tranchant caché et involontaire, pouvant être dilué avec les bons ingrédients mais non moins présent. Le pouvoir, comme une liqueur, faisait tourner l’esprit et émoussait la vigilance sous ses beaux dehors.

A n’en point douter

Il doutait que cela changea d’ailleurs contrairement à son appétence. Pour le moment cependant, il s’agissait surtout de ne pas l’humilier devant la noblesse. Elle allait certainement être pompette après cela et mieux valait qu’on ne remarque pas trop cela. Ce ne serait pas bon pour elle.

Venez, Votre Grâce




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